Le quichottinier

Publié le par GALET

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Il est des matins gris et brumeux où la nature pleure après le printemps. Il est des nuits si fort griffées de givre que même l’Ankou a peur de son ombre sur la lande. Il est des soirs au coin de l’âtre où, à l’heure du conte, il se transmet une étrange histoire. Celle d’Augier le Magique.

Augier était un enfant de ce pays. Il l’a quitté pour aller faire son apprentissage de Compagnon menuisier-ébéniste, il y a bien longtemps de cela, si longtemps que même les grands-pères de nos grands-pères n’auraient su le dire. Comme il voulait apprendre un maximum de choses, il voyagea loin, aussi loin que la terre ferme pouvait porter ses pas, aussi loin que les bateaux acceptaient de l’emmener. Il accumula une somme impressionnante de connaissances pour son métier, eut l’honneur de s’asseoir à la table des Grands à qui il racontait ses périples, la chance de discuter avec les Sages et surtout de les écouter, et, un jour, il croisa la route de Clément, un troubadour.

Clément lui parla alors d’une contrée qu’il affectionnait, la Quichottinie. Et comme Augier s’étonnait de ne l’avoir vue sur aucune carte, il lui dit :

 

-         La Quichottinie se mérite. Pour la découvrir et pouvoir y entrer, il faut réunir certaines conditions.

 

-         Lesquelles ?

 

-         Il faut un esprit ouvert, le désir de regarder, lire, écouter, sans juger, la capacité de croire à certaines choses que d’aucuns jugent utopiques, irréalistes ou simplement impossibles, enfin, toutes sortes de trucs comme çà…

 

-         Et qui décide de laisser passer ou pas ?

 

-         Cà, tu le sauras le moment venu !

 

Et là-dessus, le baladin des mots poursuivit sa route, laissant Augier décider de sa nouvelle destination. Bien sûr, il voulut découvrir ce pays merveilleux dont son ami de fortune lui avait dit tant de bien. Il décida de dormir la nuit au creux des fossés, à l’abri des bosquets, jusqu’à recevoir l’APPEL.

 

Il n’eut pas longtemps à attendre. Alors qu’une aube rose se levait au-dessus des collines, augurant une journée ensoleillée, il sentit qu’on lui pinçait l’oreille, qu’on lui chatouillait la plante des pieds, qu’on le palpait à travers sa chemise de gros drap. Il ouvrit les yeux.

 

-         Voyez, je vous avais dit qu’il s’était seulement endormi en nous attendant !

 

Celui qui claironnait ainsi était un lutin bleu, qui se redressait en rajustant son bonnet. Il était entouré d’autres lutins de couleurs différentes, qui regardaient attentivement ce grand corps allongé.

 

-         Ainsi, tu veux venir en Quichottinie.

 

Sa phrase était plus une constatation qu’une question, aussi Augier préféra attendre la suite. Il s’assit, pensant être ainsi plus présentable. Les lutins le bombardèrent alors de questions – pourquoi, que croyait-il y trouver, qu’avait-il de différent des autres pour être admis, que pensait-il pouvoir apporter à la communauté…- jusqu’au couperet :

 

-         Donne-nous une bonne raison de t’autoriser à entrer.

 

-         Je crois être un bon ouvrier, j’ai donné satisfaction à ceux qui m’ont accordé leur confiance au cours de mon périple. Je suis conscient qu’on n’a jamais fini d’apprendre, mais j’arrive au point où je dois réaliser mon chef-d’œuvre pour gagner mon titre d’artisan, et je ne veux pas qu’il ne soit qu’un objet de concours. Je veux faire de mes mains quelque chose de beau, dont je serai fier parce que ça sera quelque chose d’utile, pour des gens que j’estimerai et qui me le rendront.

 

Et se souvenant de ce que Clément lui avait dit, il ajouta :

 

-         Je suis toujours avide de connaissance, de rencontres nouvelles, de partage. Mon souhait est de devenir, pour un temps du moins, un humble membre de votre communauté.

 

-         Ses raisons me plaisent, dit le lutin vert.

 

-         Conduisons-le à Quichottine, renchérit le lutin doré, elle saura quoi faire.

 

-         Qui est Quichottine ? demanda Augier

 

-         Notre Bonne Dame.

 

Et sur cette réponse sibylline, le lutin violet donna l’ordre de marche. Augier fut étonné de la brièveté du trajet, tout en réalisant qu’il n’aurait pu l’accomplir seul : il n’avait aucun souvenir du chemin emprunté. Il fut derechef conduit à la porte d’une tour dont il gravit les marches, pour se retrouver dans une haute bibliothèque au sol couvert de coussins moelleux. Dans un coin, assise dans un grand fauteuil, celle qu’il sut être Quichottine l’attendait en feuilletant un livre de Cervantès. Il comprit, à sa façon de le regarder, qu’il n’avait rien à expliquer : elle savait.

 

-         Donc tu veux ici faire ton chef d’œuvre. Et à quoi penses-tu précisément ?

 

-         Clément m’a expliqué vos règles de vie. Je m’engage à réaliser quelque chose qui servira à tous et à chacun, et je m’efforcerai de respecter les désirs des uns et des autres.

 

-         Fort bien. Le Grand Conseil va donc se réunir.

 

En fait, c’est toute la Quichottinie qui se trouvait rassemblée sur la grande place. Augier aima la douce autorité de Quichottine pour canaliser les observations, les demandes, donner la parole à tous, couper court à la logorrhée de certains ! Du débat, il ressortit trois choses :

* La principale activité commune étant la lecture, il fallait quelque chose de couvert et d’aéré pour abriter un grand nombre de lecteurs à la belle saison, lorsqu’il n’était plus indispensable de se réunir dans la tour.

* La Dame tenait à ce que les livres restent disponibles, bien que rangés, dans un lieu où elle pourrait en faire la lecture afin que ses mots soient portés par le vent au plus grand nombre. Elle aimait cette idée que les paroles s’envolent et que les écrits restent.

* Et enfin, et surtout, loger les lutins individuellement et confortablement, pour être sûr de l’endroit où les trouver et éviter qu’ils se répandent avec plus ou moins de malice dans tout le pays.

 

Les jours qui suivirent furent partagés entre méditation, réflexion, calculs divers, promenades dans la campagne, observation des êtres et des choses pour notre Compagnon. Quichottine patientait, ne disait rien. Il sentait son regard sur lui, savait qu’elle le jaugeait. Il devait à tout prix faire ses preuves. Et un matin, il demanda une grande faveur, celle de travailler absolument seul, sans que personne ne voie le résultat avant qu’il en décide. On accéda à sa requête, malgré la curiosité aiguisée de tous.

 

Il travailla sans relâche, usant de tous ses acquis, ayant à cœur d’avoir le bon geste pour n’avoir jamais à recommencer, ne gaspiller ni matière ni temps, soucieux de bien traiter son ouvrage. Et un matin, il se présenta dans la Grande Bibliothèque, vêtu de propre, rasé de près, offrit son bras à Quichottine et l’invita à venir avec lui. En les voyant paraître, tous surent que l’attente s’achevait. Ils suivirent Augier et la Dame en un long cortège, jusqu’à l’extérieur de la ville. Un arbre majestueux étendait ses ramures sous le soleil et à sa base, l’ombre était immense, fraîche et reposante, amplement suffisante pour tous les abriter. Le menuisier avait choisi avec soin le plus bel exemplaire d’une espèce rare, aux branches juste assez tourmentées pour offrir un abri quelle que soit la position de l’astre du jour. Ses racines puissantes formaient des banquettes sur lesquelles les enfants pouvaient s’installer. Selon la lumière, elles donnaient à l’arbre l’impression de marcher. Dans l’enchevêtrement de son feuillage étaient glissés toutes sortes de livres de poésies, de contes, d’Histoire, de récits de voyages, des dictionnaires, des recueils de paroles de chansons, et tous s’émerveillaient de n’avoir qu’à tendre la main pour puiser à cette source de bonheur.

Tous, sauf les lutins ! Tout celà était bel et bon, mais avait peu à voir avec l'ébénisterie, et on leur avait promis quelque chose, et ils ne voyaient rien ! Alors que Quichottine les réprimandait de leur impatience, Augier s’approcha du tronc qu’il sembla caresser en divers endroits et, oh surprise ! autant de tiroirs que de lutins apparurent ! Ils avaient été taillés minutieusement dans l’écorce, l’intérieur poli était aussi doux que la soie la plus fine. L’ouvrier avait mis tout son savoir, tout son amour de la Nature, toute sa passion dans ce travail : l’arbre ne souffrait pas, il accueillait, il vivait deux fois plus !

 

-         Quelle beauté !

 

Ceci fut dit dans un chuchotement respectueux qu’Augier perçut comme la plus magnifique des acclamations, et lorsque Quichottine demanda comment se nommait cet arbre, c’est tout naturellement qu’il répondit :

 

-         Pour vous faire hommage, Madame, et pour remercier tous ceux qui ont cru en moi, je l’ai nommé « quichottinier ».

 

-         Merci gentil menuisier, mais ton chef d’œuvre n’est pas de ceux qu’on peut emmener et présenter à ses pairs. Comment pourras-tu justifier de ton savoir et gagner ton titre ?

 

 

 

Là s’arrête l’histoire qui se raconte, l’hiver, au coin du feu. Personne ne revit jamais Augier dans sa province, mais il donna longtemps de ses nouvelles, sans jamais révéler le chemin de Quichottinie.

Les quichottiniers sont entrés dans la légende. Pourtant, nous portons tous cet arbre en nous. Il n’est pas difficile de le faire vivre, il suffit juste d’un peu d’imagination

18 janvier 2010

Publié dans La boîte à rêves

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Q
<br /> Revenir ici alors que tu n'es pas là, te lire, et lire ceux qui t'avaient rendu visite.<br /> <br /> Un vrai plaisir... que j'espère d'autres partageront encore aujourd'hui.<br /> <br /> Je t'embrasse fort en espérant que tes vacances se passent bien.<br /> <br /> <br />
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G
<br /> C'est tout simplement magnifique ! Ici il faut ajouter 6h a la pendule, aussi je vais aller fermer mes petits yeux et rever a tout ca...<br /> <br /> <br />
V
<br /> J'ai parcouru avec toi ce chemin en Quichottinie, j'y ai revu le troubadour et l'esprit des elfes, ce voyage m'a conduit vers la Dame, j'ai reconnu son air attentif ..Je la vois observer le travail<br /> accompli, savourant le travail bien fait...Conteuse, toi aussi Galet, tu m'as ravie...Bises VITA<br /> <br /> <br />
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G
<br /> Merci, amie !<br /> <br /> <br />
C
<br /> Superbe quichottinier<br /> Merci :)<br /> <br /> <br />
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G
<br /> C'est pour l'arboretum de Quichottine !<br /> <br /> <br />
S
<br /> il est vrai que la quichottinie est très belle avec son envie de croire et son esprit ouvert...merci pour ces mots et cette photo<br /> <br /> <br />
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G
<br /> Je les devais à Quichottine !<br /> <br /> <br />
M
<br /> Galet, je n'ai pas de blog ...<br /> Même, le temps me manque pour me poser ici et là, en visiter davantage, m'émerveiller de ces rencontres ... Que serait-ce si j'en avais un ?<br /> <br /> Bonne journée, et merci encore.<br /> <br /> <br />
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