Galet-jade

Publié le par GALET


Altifolia m'a provoquée sur un texte à suivre...

     Un galet sur le sable à marée basse s'ennuyait. Mais voilà qu'une horde de goémon perturbateur vient se poser sur son dos lisse et dur...

Je relève le défi...

      Pestant contre cette chevelure folle et gluante dont un gamin surexcité vient de l'affubler, il cherche en vain de l'aide auprès des palourdes et autres couteaux qui se contentent d'une bulle de négation en s'enfonçant un peu plus dans le sable...

S'ensuit un duel verbal...

      Le voilà bien seul pauvre galet; échoué, perdu, échevelé d'une perruque importune et personne pour lui tendre une pince secourable !!!
Il ne lui reste plus qu'à attendre qu'une vague vienne lui caresser les flancs.
Mais quoi? Que se passe-t-il? Qu'est ce que c'est que ce crochet qui le retourne sur le dos dans la moite douceur des algues?

      Dans la seconde qui suit, il a les tympans déchirés par un hurlement à réveiller tous les dormeurs dans leurs trous d'eau - comment, vous ne saviez pas que les galets pouvaient vous entendre ?
- Maman-an !... Y en a un ici !
Allez voir qui vous regarde quand vous gisez, les quatre éclats de mica en l'air ! Ce qui ne l'empêche pas de recevoir la réponse-coup de poing :
- Non, il est trop sale, et puis j'en cherche en forme de coeur - dit une voix chantante au dessus de lui.
     Est-ce sa faute si ces laminaires l'ont pris pour cible ? Quant à sa forme, il est encore bien trop jeune pour en avoir une, et il ne fait pas partie de ce banc qui roule avec les déferlantes pour le seul plaisir de se cogner le plus fort possible contre la multitude d'écueils qui encombrent le chenal.

- Mais qu'est qu'il me veut ce gnome geignard?
Les griffes de son râteau ont écorché le tendre granit de mon ventre. Elles s'insinuent dans mes quartz. Elles fouaillent jusqu'aux tréfonds de ma couche pour chercher un je ne sais quoi qui sommeillerait sous un galet novice. Une légende sans aucun doute ..............
Les crevettes que je cachais sont parties depuis belle lurette. La discrétion n'est pas son fort. Les galets sont une proie aisée mais peu digeste! Va-t-en sale môme !!!

- Aïe !!! Non mais ça va pas ?...
Un coup de botte vient de me faire voler un mètre plus loin dans une gerbe de sable, bouleversant mon centre de gravité et ma placidité. Certes, j'ai perdu quelques lamelles gluantes, mais il en reste encore qui m'ont donné des allures de comète. Du coup, le gosse veut remettre çà... Heureusement, une mouette vole à mon secours en détournant l'attention de mon tourmenteur. Elle effectue un rase-mottes impeccable avant de se poser, palmes en avant, sur un gros rocher, lorgnant le gamin comme un toréador supputant la passe à venir. Merci l'oiseau !

Et voici que Quichottine arrive à la corde...

      L'enfant tend soudain d'oreille, quelque chose... Oui, quelque chose vient de lui parler, il en est sûr.

- MAMAN !!!!!!

Elle sursaute. Il a crié comme jamais elle ne l'a encore entendu. Même quand il était petit et qu'il avait faim, même plus grand, quand il a pris sa première gamelle sur son petit vélo à quatre roues.

- MAMAN !!!!!!!!!!

- Oui ? Qu'y a-t-il donc ?

- Est-ce que ça parle, un galet ?

Elle hésite. Que va-t-elle répondre ? Il paraît que les choses ont une âme... mais un galet ?

- MAMAN !

Il est là, impératif, en attente...


Mais Altifolia tient bon...

 

     Eh bien? pourquoi ça parlerait pas un galet?
Un gniard ça vagit, un goéland ça couine, une grenouille ça coasse et un galet ça jacte.
Oui madame! j'ai aussi des choses à dire moi! Et tout d'abord qu'on m'enlève cet accoutrement grotesque!
Mais enfin que quelqu'un m'entende.

- MAMAN!!!!!!!!!!

C'est tout ce qu'il sait dire?
Oui je parle et s'il continue je crois bien que je vais aussi bouger. Mais bon je voudrais surtout qu'il s'en aille, qu'il me laisse me remettre de tous ces changements dans mon horizon: un habit d'algue, un retournement de râteau puis un jet de botte.......
Qu'on me fiche la paix !!!!


Je reviens en catimini...

Non mais je rêve ?! Ecoutez-moi çà...

- Allons, ne t'énerve pas. Pour être honnête, je n'ai jamais entendu de cailloux parler, mais si tu penses que celui-ci le fait pour toi, ce doit être vrai. C'est peut-être un caillou spécial ?

Et gna-gna-gna ! Comment peut-on être niaise à ce point, et en plus me traiter de caillou, moi... Si elle connaissait mon père et certains de mes oncles (de mes tantes aussi !), elle verrait la différence. Nous ne sommes pas du vulgaire nous, Madame. Nous avons des ancêtres dans les plus belles villes du monde !

     Pendant ce temps, la pauvre maman écoute son fils raconter en pleurant que le galet n'est pas content de s'être retrouvé sur le dos, et qu'il veut qu'ils quittent la plage. Le psychologue lui a bien dit que ce petit avait une imagination débordante ; elle en avait souvent fait les frais. Mais là, s'il voulait rentrer, pourquoi prétendre que c'est parce qu'un bout de granit l'exigeait ?

Quichottine amorce une remontée...

Elle a oublié les angoisses que l'on peut ressentir quand on est seul à entendre...

Pourtant, quand elle était petite, ça lui arrivait aussi.

Les enfants sont-ils les seuls à pouvoir écouter les galets sur la plage et les cailloux du chemin ?

Le Petit Poucet et Emilie Jolie pourraient l'attester. Mais c'est un peu hors sujet.

La mère s'inquiète, l'enfant n'en peut déjà plus, il se sent étranger dans un monde où tout l'inquiète. Ce galet est vraiment bizarre. Il ne veut plus jouer.

Elle mène à la corde...

Mais elle n'a pas envie de quitter la plage, elle le lui dit.

L'enfant s'est laissé tomber dans le sable. Pourtant, il n'a plus l'âge des caprices. Non, il garde le galet dans les mains, il a compris.

Peu à peu il lui ôte le filet d'algues qui l'encombrait. Il le frotte doucement, comme pour l'amadouer. C'est une caresse un peu maladroite... Après tout, il ne sait pas encore comment l'on fait.

Puis, allongé sur le sable de la plage, sans tenir compte de la mer qui lèche ses pieds et, peu à peu, grimpe le long de ses mollets, sans quitter des yeux ce galet insolite, et dont la voix a brusquement changé, il lui demande doucement :

"S'il te plaît, Galet, raconte-moi tes souvenirs..."

Mais Altofolia la dépasse par l'extérieur et la coiffe au poteau !

Alors le galet rond et doux se hisse jusqu'à l'oreille de l'enfant. Il trouve l'usage du langage que comprennent les enfants d'où qu'ils soient dans un recoin oublié entre schiste et mica. La musique marine s'invite à la veillée. L'enfant n'entend plus rien d'autre, l'attention exclusive, comme retrouvée elle aussi. Loin de ses peurs, de ses doutes, il a creusé sa place dans l'univers minéral.
Le galet s'immerge dans les profondeurs de sa mémoire. Lorsque, attaché à sa mère, une falaise immense des environs de l'Atlantique, il regardait l'océan en rêvant qu'un jour il partirait découvrir les contours du monde.
Un jour de tempête, alors qu'il se tenait bien serré dans le giron maternel un coup de tabac plus fort que les autres l'a détaché du roc. C'en était fini de sa première vie. Sa mère le lui avait dit: dès que nos liens se dénoueront, plus rien ne pourra jamais les recréer. Il te faudra suivre ton chemin. Les vagues te mèneront d'une plage à une autre, d'un estuaire à la banquise jusqu'à ce que tu trouves ta place. Tu devras errer dans les méandres des océans, que tu te fortifies, que tu t'assouplisses au contact d'autres galets, d'algues et rochers de tout poils. Enfin, quand tes expériences t'auront enrichi des qualités qui sont les tiennes mais que tu ne connais pas encore, tu pourras te poser, reprendre ton souffle, regarder le monde. Puis, peut-être, un jour tu rencontreras un amateur de galets tout ronds qui te prendra dans sa main pour se réchauffer à ta douceur.
Il existe une autre fenêtre mais je ne sais pas si je peux t'en parler, elle s'ouvre si rarement.
Parfois, certains galets, très rares, sont doués de la parole. Ne me demande pas comment ça peut exister, je l'ai entendu dire par des vagues. Tu sauras un jour combien elles sont traitres mais jamais menteuses.....

L'enfant s'est endormi le galet coincé contre son oreille.
La mer est montée.
La mère a emmené l'enfant loin de la plage. Elle n'est plus inquiète. Elle le sent apaisé.

Voilà, je décide que c'est fini, sur ces jolis mots d'Altifolia qui répondent si bien à Quichottine. Merci à mes deux amies du blog pour avoir partagé ce moment avec moi. Je sais où trouver l'une, peut-être un jour connaîtrai-je l'autre...

 

Publié dans L'atelier

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Q
Je souris... j'avais aimé ce moment d'échange à trois...<br /> Depuis, le temps a passé, c'est vrai, mais je crois que les liens tissés sont toujours là... plus forts encore.<br /> <br /> Douce et belle journée à venir, Galet. Je t'embrasse fort.
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G
<br /> <br /> L'Atelier ferme ses portes pour l'été, la compilation des textes écrits à plusieurs mains à été distribuée, le fil rouge est prêt à être envoyé chez TBE, je vais pouvoir me consacrer à<br /> autre chose pendant deux mois !<br /> <br /> <br /> Oui, ça avait été un très bon moment que cette histoire courte...<br /> <br /> <br /> <br />
V
J'aime ramasser des cailloux là où je vais, ce texte me laisse à réfléchir ...Que pense le galet chez moi???Une idée peut-être d'écriture. VITA
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G
<br /> Il a la tête un peu dure, mais quand il est entre de bonnes mains, il se fait tout doux... Pourquoi pas ? C'est déjà ainsi que ce texte est né.<br /> <br /> <br />
A
Et bien cher Galet, je vois que tu as mis à profit le temps ensoleillé de ces derniers jours pour peaufiner la présentation de ton blog !!!<br /> Elle est plus lisible que la précédente. Bravo !!!!!!!!!
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G
<br /> Je me suis contentée de faire dans l'existant ! Mais si ça te vas, j'en suis ravie... J'espère que nous essorons bien les nuages que nous vous envoyons ?<br /> <br /> <br />
Q
Tu as bien fait de décider que l'histoire était terminée. C'était un beau défi.<br /> <br /> Une question : Pourquoi supprimes-tu les commentaires ?
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Q
Bravo, Altifolia, c'est superbe ! :)
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